« La beauté sauvera le monde! »

art150.jpgÉcrivant en 1952, Pie XII, dans sa Lettre aux artistes, souligne à quel point le travail de l’artiste est essentiel à la vie de l’Église et de notre monde. S’inspirant de l’affirmation inoubliable de l’écrivain russe Dostoïevski, « la beauté sauvera le monde », il écrit : « Le beau doit nous élever. La fonction de tout art, et donc de tout artiste, consiste à briser l’espace étroit et angoissant dans lequel l’homme, tant qu’il vit ici-bas, est plongé pour ouvrir une fenêtre vers l’infini! »

Dans sa quête du beau et de l’inexprimable, l’artiste est à sa manière un chercheur de vérité, interrogeant sans cesse cette passion qui le consume et le fait vivre. Qu’il soit comédien, musicien, peintre, écrivain, sculpteur ou artisan, et j’en passe, il y a en lui un espace secret où se livre un combat qui ressemble à celui de Jacob avec l’ange. L’inspiration n’est jamais un dû, elle ne se livre qu’après une lutte ardue: « Bénis-moi! » Voilà souvent le cri de l’artiste au coeur de son combat.

L’artiste évoque aussi la figure d’un Moïse, le contemplatif devant le Buisson Ardent. Il me semble qu’il est toujours hanté par cette question fondamentale : « Quel est ton nom? » L’artiste a besoin de saisir ce qui lui échappe. Comme le scientifique, il cherche à comprendre, à saisir l’indicible. Il est fasciné par ce qui le dépasse et il entraîne le monde dans sa soif d’absolu. Cette recherche du beau et du vrai, comme l’affirment Dostoïevski et Pie XII, est capable de sauver le monde. Je le crois. Mystérieusement, elle le rend plus humain, elle lui permet de s’ouvrir à lui-même et de se dire.

Hommage donc à tous ces artistes qui peuplent notre imaginaire de formes et de couleurs inédites, de sons, d’images et de chansons, qui nous transportent à mille lieux, pour mieux nous dire qui nous sommes. Hommage à tous ces artistes célèbres et méconnus qui ont tellement enrichi le patrimoine humain. Hommage surtout à cet artiste qui sommeille en chacun de nous et qui, de mille et une manières, au fil des jours, recrée le quotidien et enfante le monde de demain. Prêtons-lui attention, prenons-le au sérieux, même si ses efforts paraissent parfois malhabiles. A sa façon, il poursuit l’œuvre de création que Dieu a commencée de bon matin.

Le poème et la poignée de main

Citant le poète Paul Celan, Sylvie Germain écrit: « Je ne vois pas de différence entre une poignée de main et un poème ».Elle ajoute: « Les poèmes, les oeuvres d’art, sont des « poignées de main » qui se prolongent au fil du temps, longuement. Toute une vie parfois. Des poignées de main telles qu’elles inscrivent leur chaleur au plus profond de notre paume, et que le feu très claire qu’elles propagent se faufile en douceur dans notre sang, jusqu’à notre coeur où il se love.

Poignées de main à jamais vives – aussi longtemps puissent-elles demeurer dans l’oubli – et qu’un rien suffit à ramener au jour de notre mémoire, à restituer dans toute leur fraîcheur et leur actualité.

Une main qui revient, à son heure, se poser soudain sur notre épaule, nous caresser furtivement la tempe, ou nous faire juste un signe. Un petit signe de beauté, là où on la croyait anéantie, un petit signe de fraternité, là où celle-ci semblait à jamais perdue. Petit dans sa discrétion, infini dans sa générosité.

(Extrait de: Germain, Sylvie. Etty Hillesum, chemins d’éternité. Pygmalion, 1999. pp. 162-163)